_
Page 25
D'un État administrateur à un État régulateur.
III. Construisons une nouvelle doctrine.
Au cours du vingtième siècle, notamment à partir de 1958, le discours politique a toujours associé le sport à de multiples objectifs et enjeux de société. En France, il est remarquable de constater encore aujourd'hui la constance de cette vision officielle. En particulier, la permanence des thèmes qui structuraient déjà le service public du sport à l'époque du Général De GAULLE. Cela, quelles que soient les orientations politiques des gouvernements de la Ve République. A l'analyse, il s'agit d'une conception très normalisée et disciplinaire qui n'a jamais évolué de manière significative. Un peu comme si, doué d'une sorte de persistance sociétale a-historique, le sport n'était pas touché par les transformations de la société ; donc que la vision politique qui lui était associée ne nécessitait aucune actualisation. Le sentiment qui a longtemps prévalu, et qui prévaut peut-être encore aujourd'hui dans certaines sphères de l'Etat et du Mouvement sportif, est qu'il se pérenniserait à son rythme sans tenir compte du changement social, des innovations technologiques et des évolutions de son économie. Prenons en acte mais remarquons néanmoins que s'il le fait c'est sur des fondements idéologiques particulièrement datés car issus de "paroles fondatrices" prononcées en France par notre compatriote Pierre de Coubertin à la fin du XIXème siècle.
Ce qui suit devra donc être mis en perspective avec le constat que depuis plus de cinquante ans le discours officiel produit en France sur le sport ignore superbement les transformations qui l'affectent pourtant. Il s'agira d'en tenir compte même si nous n'entrerons pas ici dans ce débat sinon cette polémique.
_
Page 26
Les fondements systémiques d'une nouvelle doctrine.
Chacun aura compris que nous tenterons ici d'établir les bases méthodologiques, conceptuelles et politiques de la nouvelle doctrine que nous préconisons. Nous estimons en effet que par rapport aux années soixante la donne a profondément changé. Dix grands domaines sociétaux de différente nature : culturels, démographiques, sociaux, écologiques, économiques, industriels, technologiques, académiques, scientifiques, administratifs et institutionnels, doivent fonder en 2024 la volonté toujours affirmée de l'Etat d'agir de manière régalienne dans le sport. Précisons que si pour des raisons de présentation ces fondements apparaissent ici sous une forme hiérarchisée, leur agencement dans une doctrine politique cohérente n'entraînera aucune logique de classement. Etant tous complémentaires et se renforçant mutuellement selon une dialectique de renouvellement de la politique publique, ils constituent un 'système' relevant d'une analyse 'systémique'. C'est-à-dire un ensemble en interrelations sur lequel reposera la future doctrine du sport. Ils ne sont donc pas dissociables et, pour cette raison, constituent un socle conceptuel sur lequel le Ministère des Sports doit, selon nous, aujourd'hui travailler.
Fondement n°1 - Sport et barrières sociales et démographiques.
On affirme officiellement que plus de quinze millions de Français sont licenciés dans 180.000 associations sportives. Ces chiffres sont très importants. Ils montrent qu'à travers les rencontres qu'elle génère via la vie associative, la pratique sportive est toujours l'occasion de créer du lien social. Il reste que l'accès à ce 'lien sportif' repose malheureusement encore sur certaines formes de distinctions sociales. Le sport est toujours majoritairement le fait des classes favorisées, des diplômés de l'enseignement supérieur, des hommes plutôt que des femmes, des jeunes plutôt que des seniors et des valides plutôt que des personnes handicapées. Il faut casser ces barrières pour permettre au plus grand nombre d'accéder à un authentique service public du sport et, surtout, de l'activité physique.
Dans ce but, il est indispensable que l'analyse politique distingue clairement - ce qui n'est pas le cas ! - entre, d'une part, le sport qui se pratique constituant la base d'une activité à forte connotation citoyenne et, d'autre part, le sport qui se regarde constituant la base d'une pratique économique à forte connotation business.
De manière incidente, nous pensons qu'il est indispensable de se poser la question de savoir si le sport de haut niveau doit toujours être considéré comme devant relever de l'intérêt général et, à ce titre, doit nécessairement s'inscrire dans le cadre d'une mission de service public. En tout état de cause, si l'on doit maintenir l'Institut National du Sport de l'Expertise et de la Performance (INSEP-1), il est indispensable de doter la France de son équivalent du sport pour tous sous le nom d'Institut National du Sport de l'Expertise et de la Pratique (INSEP-2]
_
Page 27
Fondement n°2 - Sport et rayonnement de la France.
Depuis le début de la cinquième République (1958), les résultats sportifs internationaux des équipes de France sont considérés comme un enjeu officiel. Cette vision très nationaliste a donné naissance à une politique publique qui semble avoir atteint certaines limites. Parmi celles-ci, nous retiendrons le statut baroque et suranné de militaire du rang dont bénéficient un nombre impressionnant d'athlètes de haut niveau. Considérant ce point, il est indispensable d'élaborer des dispositifs incluant des formations professionnelles conduisant à des reconversions non-militaires.
Au cours des quarante dernières années, c'est-à-dire globalement depuis les Jeux de Los Angeles (1984), le développement d'une économie olympique mondialisée a changé la donne en introduisant dans le système des sports des acteurs économiques aux objectifs protéiformes. Une politique du sport de haut niveau nationale bien conçue doit permettre d'aboutir à ce que ceux-ci ne se servent pas seulement du sport mais le servent également au-delà d'un simple contrat financier. Ce dernier doit être normalisé par l'Etat dans le cadre d'une gestion optimisée de certaines formes de partenariats publics/privés. Certains acteurs économiques majeurs du sport français comme Sporsora ou le MEDEF pensent que la place de la France dans le concert sportif international en serait renforcée. L'exemple de la Grande-Bretagne est de ce point de vue significatif.
Considérant la volonté politique, officiellement réaffirmée par Emmanuel MACRON, de faire de la France une base avancée d'organisation de méga évènements sportifs, il est nécessaire de reconsidérer, pour les mutualiser et les normaliser, les modalités de conception, de construction et de présentation des dossiers de candidatures élaborés par les autorités sportives tricolores. Il est en outre indispensable de capitaliser l'expérience acquise ainsi que les bonnes pratiques et d'enseigner ce savoir-faire. Pour ce qui concerne les événements de moindre importance pour lesquels, de ce fait, la concurrence internationale est plus faible, il faut systématiquement inciter nos fédérations nationales à se porter candidates et les aider de manière significative à agir dans ce sens.
_
Page 28
Fondement n°3 - Sport et Développement durable.
La dimension "écologique" - l'expression étant prise au sens du rapport harmonieux au corps, à l'autre et à la nature - de la pratique sportive a de tout temps été au fondement des valeurs olympiques. Un corps sain et l'éducation corporelle de tous, la préservation du "capital physique et physiologique" de chacun, la permanence d'une activité physique tout au long de la vie, la sauvegarde des sites de pratiques au regard de toute forme de pollution, la préservation de relations interpersonnelles socialement normalisées, tout cela fait partie du socle culturel qui a historiquement structuré l'organisation du sport mondial au vingtième siècle.
Nous observerons toutefois que la devise olympique "(Toujours) plus vite, plus haut, plus fort" ne prédispose pas vraiment à la réduction ou à la maîtrise de la dépense d'énergie (même si le terme "Ensemble" a récemment été ajouté). C'est sans doute pourquoi le dopage, la fraude, la corruption, le surentraînement, l'agressivité, la tricherie, la détection précoce, le vieillissement prématuré et l'inscription des équipements et sites sportifs dans l'espace naturel sans souci de sa préservation comme pour l'organisation des Jeux Olympiques de Sotchi, par exemple, font partie des dérives identifiées.
Face à ce qui n'est pas loin d'être une contradiction, la majorité des adultes qui s'adonnent en 2024 à une pratique physique "non sportive" semble avoir tranché : ils plébiscitent les " sports de lenteur " (marche, vélo, voile, kayak de mer, etc.) face à la recherche de la vitesse qui a toujours prévalu. Dans cette perspective, la responsabilité politique de l'Etat doit le conduire à s'engager auprès du Mouvement sportif pour le respect et l'application de l'Agenda 21 olympique. Les Assises du Sport et du Développement Durable, lancées par Rama Yade le 20 mai 2010, auraient pu être l'une des prémices de cette prise de conscience. Ce ne fut malheureusement pas le cas.
_
Page 29
Fondement n°4 - Sport et création de valeur économique
Le sport représente près de 2% du PIB français. C'est à la fois peu et beaucoup. C'est notamment beaucoup car, si l'on exclut la volonté officielle d'organisation de grands événements, rien n'est politiquement et significativement fait par l'Etat pour que ce chiffre augmente dans le secteur du 'sport qui se pratique'. Il s'agit pourtant d'une économie en très forte expansion au niveau mondial. Elle se double d'une industrie dynamique de produits et de services fortement impactés par le numérique et les start-up. Du point de vue industriel, une politique réellement opérante doit donc considérer parallèlement l'économie du 'sport qui se pratique' et celle du 'sport qui se regarde'. En effet, au plan strictement économique ces deux dimensions ne semblent pas dissociables. Elles seraient peut-être même interdépendantes comme certains le pensent.
Le développement d'une économie du spectacle sportif est devenu un réel enjeu industriel mondial dans le domaine des technologies numériques. Il est indispensable que la recherche publique s'y intéresses. Ce qui n'est pas le cas. Il faut notamment identifier les objectifs à la portée de la France et favoriser leur réalisation sur la base de partenariats publics privés impulsés ou pilotés par les autorités sportives françaises.
Concernant le sport-business ou, si l'on préfère, le sport qui se regarde, il faut créer les conditions politiques, notamment au niveau européen, d'une redéfinition des relations entre l'économie du sport professionnel et l'action publique. Pour la Commission européenne, ces relations se résument en effet aujourd'hui à une seule question : une exception sportive est-elle nécessaire au plan économique pour tenir compte de la spécificité du spectacle sportif ? En répondant non, les Commissaires européens semblent avoir engagé le sport professionnel dans une impasse. La France a un rôle à jouer dans ce dossier sensible; peut-être un rôle de leader européen.
Sur un plan très différent portant sur l'économie du sport qui se pratique, l'Etat doit considérer le sport dans ses dimensions industrielles et commerciales issues de l'innovation technologique numérique. Il doit notamment favoriser le développement d'une recherche de pointe dans un secteur où l'on sait maintenant que les produits correspondant à la demande des consommateurs seront dans l'avenir systématiquement associés à une forte valeur ajoutée digitale. Aujourd'hui, le maître mot au plan industriel est celui "d'innovation". Or, rien n'est fait par l'Etat pour que nous puissions nous introduire de manière cohérente, réfléchie et coordonnée dans le secteur pourtant très prometteur de l'innovation sportive mondiale.
_
Page 30
Fondement n°5 - Sport, formations, emplois
Les formations aux métiers du sport définies par l'administration sont encore trop souvent structurées par les pratiques sportives disciplinaires de nature compétitive organisées en silos. Or, toutes les études montrent que les Français font état d'une demande de sport très différente. En réalité, lorsqu'on les interroge ils manifestent un intérêt marqué pour des activités excluant toutes formes de compétition qui inscriraient obligatoirement leur activité dans un cadre réglementé, organisé, arbitré et donc disciplinaire. Ils plébiscitent par contre une 'expérience-pratiquant' reposant sur des services très innovants, notamment dématérialisés. En matière de sports de glisse, par exemple, ils valorisent des protocoles d'activités développées dans un environnement simplement sécurisé et exploitant du matériel 'augmenté' via l'Intelligence artificielle. Il s'agit aujourd'hui de satisfaire cette demande inédite en proposant un encadrement précisément formé dans ce but. Or, nous en sommes très loin. Tout se passe en effet comme si l'offre de formation officielle ignorait superbement l'évolution de la demande et des services numériques pour se retrancher sur des programmes historiquement marqués correspondant principalement aux deux seuls métiers identifiés depuis un demi-siècle en France : l'entraîneur et l'éducateur sportifs.
Nous estimons que, pour une large part, le secteur de l'emploi sportif du futur est ailleurs. Il faut l'identifier précisément de façon à le prendre officiellement en compte dans le cadre du service public de l'offre de formation issu notamment de l'enseignement supérieur et de la recherche qu'il est le seul à pouvoir développer. Parallèlement, il faut faire cesser la concurrence extrêmement néfaste et coûteuse à laquelle se livrent l'université via les Sciences et Techniques des Activités Physique et Sportive (STAPS) et les formations du ministère des Sports par ailleurs trop souvent externalisées par l'administration de l'Etat. Cela n'a plus de sens dans le contexte d'un marché de l'emploi qui, parce qu'il se diversifie rapidement au rythme des transformations de la demande sociale, des innovations technologiques numériques et des mutations de l'économie sportive, exige une capacité d'adaptation dont les structures de formation actuelles ne disposent pas faute d'affectation de moyens suffisants. C'est d'autant plus ennuyeux que dans certains domaines comme les formations supérieures en management et marketing du sport, par exemple, une offre privée de plus en plus performante se développe logiquement. Profitant de moyens autrement plus importants que ceux des UFR STAPS car pratiquant des tarifs d'inscription très élevés, elles bénéficient d'un vide académique résultant de la neutralisation issue de la concurrence à laquelle se livrent les formations d'Etat.
_
Page 31
Fondement n°6 - Sport et Santé publique
Les maladies liées à la sédentarité croissante de certaines catégories socioculturelles de la population seront l'une des causes importantes de mortalité dans les toutes prochaines décennies. Il est donc indispensable de mettre en place les conditions d'une pratique des activités physiques pour les adultes reposant sur un véritable service public de 'santé/vitalité/bien-être'. Ce que nous appelons une 'politique du sport au quotidien'. Elle doit reposer sur une offre structurée par des savoir-faire, donc des formations et des recherches, très différents de ceux proposée aujourd'hui par le Mouvement sportif et les administrations de l'Etat. Un observatoire national, tel que celui dévéloppé par la FFEPGV, capable d'assurer une visibilté des comportments des Français les plus éloignés du 'Sport-Santé' doit être créé.
Situées en amont des problèmes liés à la sédentarité des adultes, il est nécessaire d'ancrer certaines habitudes de vie dès l'école selon des logiques éducatives comme celles développées par le Québec. Sur la base d'une initiative politique baptisée 'Québec en forme' le gouvernement québécois développe depuis 2002 des missions spécifiques relayées par un réseau de plus de 5.000 organisations territoriales. Leur objectif est la promotion d'une société favorisant les modes de vie alternatifs aux 'mauvaises habitudes', en particulier la sédentarité. Un programme national complémentaire intitulé 'Saines habitudes de vie' développé, notamment par l'Université Laval en milieu étudiant, propose différents protocoles comportementaux visant à améliorer les conditions de vie au quotidien.
Dans un tel contexte de transformations protéiformes des habitudes et comportements individuels, il est indispensable de s'appuyer sur un dispositif de type 'nudge' [Cliquez]. Dans ce but, une cellule baptisée 'Nudge Sport' doit être développée au sein de l'administration centrale du Ministère des Sports. Son objectif sera la création de protocoles d'incitation à la pratique tenant compte du fait que l'inaccessibilité au sport est systématiquement corrélée avec les inégalités sociales. Toutes les études montrent en effet que la sédentarité et l'obésité touchent plus fortement les catégories sociales défavorisées.
Exemple de nudge sportif : passer du certificat médical de non contre-indication actuellement exigé pour pratiquer un sport à un certificat médical d'indication à la pratique sportive.
_
Page 32
Fondement n°7 - Sport et Aménagement du territoire
Les collectivités locales et territoriales sont avec les clubs affiliés aux fédérations les principaux pourvoyeurs de ce que nous pourrions appeler les 'services sportifs à la personne' proposés dans un cadre associatif. Les collectivités se présentent en outre comme d'indispensables concepteurs, constructeurs et, surtout, financeurs d'espaces et d'équipements permettant l'animation sportive de l'ensemble du territoire français. De ce point de vue, il faut valoriser toutes les formes d'innovation ayant trait aux services locaux ciblant les nouvelles modalités de la demande sociale de sport, notamment les offres dématérialisées. Un label 'Ville sportive numérique' doit permettre de reconnaître les efforts des collectivités en matière de transition digitale des organisations sportives locales.
Le développement du service public du 'sport au quotidien' passe par un maillage territorial serré de sites de pratiques pour le plus grand nombre incluant les adultes, les seniors, les personnes en situation de handicap. D'une manière générale, des propositions de pratiques pour les personnes éloignées de l'activité physique doivent être élaborées et valorisées. Au-delà, une forme de sport associée aux loisirs dans une conception étendue de la notion de 'tourisme sportif' doit être promue par les Régions. L'intégration harmonieuse des espaces sportifs dans les politiques urbaines et territoriales ainsi que la prise en compte des sports de nature dans le développement économique régional constituent des enjeux déterminants d'aménagement des territoires. Cela suppose une régulation régionale en matière de construction d'équipements structurants destinée à éviter que des concurrences locales s'établissent. Le sport étant tributaire des contraintes administratives et institutionnelles liées au service public, cela suppose également une continuité de ce service sur l'ensemble du territoire national destiné à éviter les 'zones blanches' dépourvues de services sportifs..
_
Page 33
Fondement n°8 - Sport et Education nationale
Il est vital de conserver et de développer un sport scolaire considéré comme le prolongement des cours d'EPS dans le cadre d'une ouverture pédagogique vers des formes d'activités physiques innovantes. L'incontestable dynamisme sportif que l'on constate dans les écoles, collèges et lycées français repose sur des élèves très motivés, des enseignants très volontaires et des chefs d'établissement qui sont majoritairement très engagés dans le développement du sport à l'école.
Il faut amplifier encore cette dynamique en donnant plus de moyens aux fédérations des sports scolaires et universitaires. Elles s'inscrivent en effet dans un véritable choix de société : celui d'un sport considéré comme une pratique sociale et culturelle reposant sur des valeurs républicaines. Or, celles-ci ne sont absolument plus portées par un sport-spectacle promu par les télévisions comme un produit d'appel et qui se trouve affublé d'une connotation de plus en plus négative : dopage, affairisme, corruption, tricherie, violence. Considérant le poids sociétal et télévisuel du 'sport qui se regarde', des propositions pédagogiques visant à établir chez les élèves une distance critique avec ces différents phénomènes doivent être proposées. Dans tous les domaines de la pratique sportive et de l'éducation physique et sportive (EPS), le rôle de l'école doit permettre aux élèves de percevoir, et donc de concevoir, le sport autrement que par le biais des seules dérives du sport-busines. L'EPS et les sports scolaires et universitaires doivent demeurer cet 'espace de citoyenneté sportive' qui fait d'eux des outils pédagogiques indispensables à la formation d'un futur 'adulte sportif éclairé'.
_
Page 34
Fondement n°9 - Sport et Décentralisation
L'Etat doit reconnaître officiellement le rôle des collectivités.
Le développement du sport français repose majoritairement sur les efforts financiers consentis par les communes, les intercommunalités, les départements et les régions.
• On leur doit la construction, l'entretien et l'animation des équipements ainsi que le soutien aux associations en termes de ressources humaines et financières.
• On devra bientôt aux 'smart-cities' la transition numérique relative au sport 'qui se pratique'.
Dans ces conditions, l'intervention des collectivités dans le sport doit être officiellement valorisée et promue en conséquence. Ce n'est pas le cas depuis cinquante ans. Les conditions nouvelles d'une politique de mise en commun des volontés nationales (l'Etat) et territoriales (les collectivités) doivent donc être créées. Dans un contexte récurrent d'affaiblissement des moyens de l'Etat, le rôle des collectivités est, sans contestation possible, devenu un paramètre indépassable d'une politique sportive décentralisée aux objectifs équilibrés et clairement formulés par l'Etat en partenariat avec les acteurs sportifs territoriaux et locaux.
La création d'une 'Agence Nationale d'Identifcation, de Mutualisation & d'Activation Territoriale des Initiatives Opérationelles Numériques' [A.N.I.M.A.T.I.O.N] doit être prévue dans le cadre d'un partage d'expérience coordonné au plan national.
_
Page 35
Fondement n°10 - Sport et (re)Mondialisation
En trente ans, le sport est devenu un secteur économique mondialisé massivement concurrentiel qui revêt de surcroît pour les Etats, en particulier ceux des pays émergents, une dimension politique majeure. Outre sa dimension purement sportive - qui n'étant plus qu'un simple moyen de communication est en passe de devenir secondaire -, il est porteur d'enjeux internationaux multiples et autrement plus importants : géopolitiques, industriels et commerciaux.
L'industrie mondiale des biens et des services sportifs présente une très forte capacité de croissance. Le sport est donc un marché à fort potentiel susceptible de permettre la création de nouvelles entreprises et, last but not least, de nouveaux emplois.
De nombreux pays l'ont identifié, notamment certains pays dont le développement économique récent leur permet de candidater avec succès pour l'organisation des méga-événements sportifs comme les Jeux Olympiques ou la Coupe du monde de football. En s'inscrivant à leur tour dans le paysage sportif international par le biais de l'organisation de ces événements lourdement médiatisés, ces pays à forte capacité de croissance (Chine, Turquie, Brésil, Afrique du Sud, Emirats Arabes Unis, Qatar, Corée du sud, ...) sont devenus les concurrents des nations occidentales. Sans passé sportif trop sclérosant et donc sans a priori, ils développent des stratégies d'implantation agressives particulièrement innovantes.
_
Page 36
Pour les nations européennes qui souffrent économiquement, la conséquence est double. Ces pays intensifient instantanément la concurrence internationale et déclassifient les dispositifs que les nations occidentales furent capables d'élaborer au cours des cinquante dernières années. Or, il est indispensable de valider un fait nouveau : les enjeux olympiques d'aujourd'hui sont moins sportifs et touristiques qu'économiques et industriels. Ce qui signifie que l'objectif est moins d'attirer des spectateurs étrangers que de valoriser un potentiel d'innovations dans les secteurs industriels de pointe comme le numérique.
Les pays émergents ont bien compris que les enjeux olympiques établis au 20ème siècle ont bien changé. Ils jouent d'ailleurs désormais sur la double dimension du sport qui se regarde et du sport qui se pratique. C'est pour cette raison que leurs politiques consistent toujours à faire en sorte que la première serve de vecteur de promotion à la seconde. Ils sont donc en mesure de fixer à leur tour les "barrières à l'entrée" sur les deux marchés structurant l'économie mondiale associée au sport : celui du sport-spectacle à caractère télévisuel ou via Internet et celui du matériel et des équipements sportifs à forte valeur ajoutée numérique.
A défaut de se montrer capables de se hisser à ce niveau de concurrence, certaines nations occidentales décrocheront du paysage sportif international balisé par ces deux marchés.
En France, pour éviter cette extrémité, la création d'un cluster national scientifique et industriel à vocation mondiale doit être conçu. Equivalent de l'INSEP mais dans le secteur de l'expertise numérique, de la data, de l'intelligence artificielle et, surtout, des plateformes d'intermédiation sportive (réseaux sociaux sportifs) qui apparaissent comme un secteur de gouvernance dématérialisée indissociable d'une politique sportive efficiente, nous proposons qu'il prenne le nom d'Institut National du Sport de l'Expertise et du Numérique (INSEN).
_
Page 37
IV. Méthodologie
Conception de la doctrine
Les dix fondements doctrinaux que nous avons établis ci-dessus constituent la base d'un projet politique renouvelé capable de faire enfin entrer le sport français dans le 21ème siècle. L'organisation de cette démarche se décline selon une construction logique qui va des enjeux politiques puis institutionnels à la conception d'une doctrine en phase avec l'écosystème sportif contemporain. Cette méthode fut déjà utilisée au début des années soixante pour la construction de la doctrine du sport réclamée par le Général De Gaulle.
Pour permettre d'organiser la démarche et de mieux identifier la structure des analyses que nous préconisons, nos propositions sont déclinées selon une logique qui va des différents enjeux institutionnels et politiques que l'on doit identifier aujourd'hui - et qui sont liés à ce que devrait être un véritable service public - à la conception d'une doctrine politique. A ce stade, il convient de préciser le choix méthodologique opéré. En tout état de cause, la dimension doctrinale du raisonnement aurait dû précéder la déclinaison des enjeux et des décisions politiques. En effet, considérant qu'une doctrine repose sur un ensemble d'affirmations considérées a priori comme vraies et qui, de ce fait, permettent l'interprétation d'une situation donnée ainsi qu'une orientation de l'action - ici, l'action publique -, nous aurions dû partir de la doctrine sportive supposée structurer aujourd'hui la politique française de ce secteur. Nous n'avons pas fait ce choix. Nous avons renversé la procédure pour (re)construire la doctrine sportive qui selon nous doit structurer les choix politiques de l'Etat.
_
Page 38
Le travail a donc consisté dans un premier temps à définir les fondements de la doctrine. C'est-à-dire sur quoi devra reposer une politique se voulant cohérente face aux transformations du sport contemporain. De quoi doit-elle tenir compte aujourd'hui et que doit-elle prendre en considération prioritairement de façon à être toujours d'actualité dans les décennies à venir ?
Dit autrement, qu'elles nouvelles orientations correspondant à l'évolution de la société doivent structurer aujourd'hui les prérogatives du service public sportif de façon à l'inscrire dans le futur ? Sachant que l'aune sera les cinquante prochaines années, la dimension prospective de l'analyse a bien entendu été jugée prioritaire dans cette phase du travail. Dans un second temps, nous avons cherché à identifier la place et le rôle de l'Etat au regard de chaque fondement identifié. L'hypothèse qu'il n'était sans doute pas indispensable que, pour chacun d'eux, l'Etat conserve la vision jacobine qui fut la sienne durant le dernier demi-siècle a structuré notre analyse.
Cette question de doctrine portant sur la place de l'Etat est absolument majeure car les réponses qui y seront apportées remettront probablement en cause certaines priorités actuelles.
Puis, au regard de ces deux éléments (fondements et question de doctrine), nous avons cherché à déterminer les buts de la doctrine du sport. C'est-à-dire les grandes orientations politiques qui devront être proposées au législateur. Ces buts seront les finalités politiques qui structureront les décisions et mesures politiques aval. Soit l'ensemble des objectifs de la doctrine ou, si l'on préfère, les procédures et dispositifs de réalisation susceptibles de traduire les orientations "sur le terrain". Cette démarche méthodologique devait naturellement conduire à définir des modalités de gouvernance optimum. Ce n'est qu'ensuite, c'est-à-dire en fin de procédure, qu'il sera possible de (re)construire la doctrine pour qu'elle féconde, sur la base d'un feed back méthodologique, une démarche politique amont qui déterminera la réalité et le contenu du service public sportif français des prochaines décennies.
_
Page 39
Cette méthode de travail est présentée de manière synthétique par le modèle d'analyse théorique ci-dessous. On retrouve nos dix fondements de doctrine qui correspondent à des enjeux politiques majeurs. Pour chacun d'eux, la question de la place et du rôle de l'Etat sont posés. Puis viennent les buts de la doctrine. Ils s'inscrivent dans cinq grandes orientations politiques jugées prioritaires. Sont présentés ensuite les objectifs de la doctrine, soit les données stratégiques destinées à mettre en œuvre les orientations précédentes. La question du pilotage ou, si l'on préfère de la gouvernance de l'ensemble, viendra enfin et précèdera l'énoncé des éléments constitutifs de la doctrine.
_
Page 40
L'application de cette méthodologie nous a permis d'identifier vingt secteurs prioritaires assortis de 20 préconisations [tableau ci-dessous]. Il inscrivent l'effort que doit consentir l'Etat dans une révolution doctrinale le faisant passer d'un rôle d'administrateur du sport [de 1964 à 2024] à un rôle de régulateur pour les décennies à venir.
Liste des préconisations | Description des préconisations |
Préconisation n°1 | • Au titre de la Délégation de missions de service public conférée aux fédérations, distinguer politiquement et administrativement le ‘sport qui se pratique' du ‘sport qui se regarde'. |
Préconisation n°2 | • Créer parallèlement à l'Institut National du Sport de l'Expertise et de la Performance [INSEP-1] un Institut National du Sport de l'Expertise et de la Pratique [INSEP-2]. |
Préconisation n°3 | • Normaliser les contrats de sponsoring établis dans le cadre des missions de service public des fédérations. |
Préconisation n°4 | • Mutualiser la conception des dossiers de candidatures des fédérations olympiques et l'organisation des grands événements sportifs internationaux. |
Préconisation n°5 | • Normaliser les conditions d'application de l'Agenda 21 olympique. |
Préconisation n°6 | • Renforcer la place du ‘sport qui se pratique' dans la Filière économique du sport pilotée par l'Etat. |
Préconisation n°7 | • Créer les conditions politiques, notamment au niveau européen, d'une redéfinition des relations entre l'économie du sport professionnel et l'action publique. |
Préconisation n°8 | • Favoriser le développement d'une recherche publique de pointe dans le secteur du numérique dédié au sport. |
Préconisation n°9 | • Créer un Centre National de l'Innovation Sportive [CNIS]. |
Préconisation n°10 | • Créer un cadre mutualisé pour l'ensemble des filières de formations conduisant aux métiers du sport. |
Préconisation n°11 | • Créer un Département de benchmarking et de curation capable d'identifier les ‘bonnes pratiques' étrangère. |
Préconisation n°12 | • Créer un Département ‘Nudge Sport'. |
Préconisation n°13 | • Créer un Label officiel ‘Ville sportive numérique'. |
Préconisation n°14 | • Créer un dispositif de régulation territorial des politiques sportives capable d'assurer la continuité du service public sur l'ensemble des territoires. |
Préconisation n°15 | • Etablir les conditions pédagogiques de l'instauration d'une distance critique des élèves avec le sport business. |
Préconisation n°16 | • Soutenir l'intervention des collectivités dans le sport en favorisant leur transition sportive numérique. |
Préconisation n°17 | • Promouvoir le rôle du CNOSF et accompagner sa transformation digitale. |
Préconisation n°18 | • Pour renforcer les préconisations 16 et 17, créer une ‘Agence Nationale d'Identification, de Mutualisation & d'Activation Territoriales des Initiatives Opérationnelles Numériques' [ANIMATION]. |
Préconisation n°19 | • Créer au niveau national un cluster sportif scientifique à vocation industrielle en relation avec le MEDEF. |
Préconisation n°20 | • Créer un ‘Hub national de compétences technologiques' capable de mutualiser et de diffuser les savoir-faire et bonnes pratiques produits localement par les incubateurs de start-up. |