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Scénario noir à l'horizon 2025 !

                         

En matière de transition digitale du sport fédéral, sur une première période allant de 2017 à 2025, un scénario étonnant a été identifié : les conséquences de la transformation numérique du sport affecteront moins les clubs que les fédérations auxquelles ils sont affiliés. Les clubs ont en effet créé une véritable "chaîne de valeurs sportives" [économiques et sociales, ndrl] géo-localisée dans les communes. Ils y ont développé avec les services des sports, ou d'autres structures de coordination mises en place par les élus, une relation privilégiée reposant souvent sur des décennies d'interventions et de projets communs. Une histoire et une culture étroitement partagées les lient donc. Au niveau territorial [Départements et Régions], les clubs sont en outre regroupés en structures administratives historiques bien identifiables : les ligues et comités fédéraux. S'y ajoutent les composantes "olympiques", CROS et CDOS, dont l'influence est variable selon les territoires. Cet ensemble représente pour les clubs associatifs un écosystème très protecteur répartissant les "parts de marché" du sport qui se pratique selon des distributions connues et maîtrisées de longue date au niveau d'un territoire. Si l'on évalue l'étiage global sur une durée significative, on y observe peu de variations quantitatives. La raison ? L'adage "Lorsqu'un club gagne un licencié c'est souvent parce qu'un autre l'a perdu" se vérifie fréquemment au niveau des communes.

 

Sur la période identifiée, cette qualité protectrice de l'écosystème sportif local et territorial va préserver partiellement les clubs des effets potentiellement dévastateurs de la transformation numérique de la demande sociale de sport. "Partiellement", c'est-à-dire durant une phase de latence variable selon les disciplines. Pour faire court, disons que les sports individuels [le running, la marche, le cyclisme, par exemple] seront touchés plus rapidement et plus fortement que les sports collectifs. D'une manière générale, pourtant, dans un premier temps, les clubs résisteront mieux que leurs propres fédérations car les élus locaux prendront rarement le risque électoral de briser la chaîne de valeurs éducatives et sociales dont ils constituent les maillons forts dans chaque commune française. Par contre, et à l'inverse, ce ne sera absolument pas le cas du gouvernement dans ses relations avec les milieux fédéraux. Dans un contexte de fortes tensions budgétaires, contraint à une vigoureuse rationalisation de ses choix d'affectation des ressources, il "tranchera dans le vif" sans aucun état d'âme. Une décision récente nous a d'ailleurs donné une petite idée du sort réservé aux fédérations à très court terme : voir infra page 55, la décision de Thierry Braillard - secrétaire d'Etat aux Sports jusqu'en mai 2017 - concernant l'affectation de ressources humaines aux fédérations affinitaires et multisports.

 

Reste que cette situation de soutiens locaux indéfectibles aux clubs ne sera que transitoire. Sur un calendrier courant de 2020 et 2025, deux paramètres interviendront progressivement qui conduiront les maires à prendre des décisions douloureuses pour les associations sportives locales représentant les maillons les plus fragiles de la chaîne de valeur du sport.

 

Le premier paramètre sera une concurrence inédite pour l'attribution des équipements sportifs communaux qui interviendra entre les clubs et les nouvelles communautés numériques que nous avons identifiées à plusieurs reprises dans ce web book [voir supra, le chapitre sur les différents scénarios dans la seconde partie, pages 11 à 20]. L'apparition de telles structures dans l'écosystème sportif va brutalement changer la donne au niveau des communes. Si elles sont reconnues comme plus opérantes ou plus efficientes que les clubs historiques, certains élus leur confieront l'animation des équipements sans trop d'hésitations. Ce qui constituera d'une façon certaine les prémices du démantèlement de la chaîne de valeurs historiques [sociales et éducatives] constitutive en France du service public depuis les années soixante.

 

Le second paramètre sera une mutation de l'adage "Lorsqu'un club gagne un licencié c'est souvent parce qu'un autre l'a perdu" qui subira une authentique transformation sémantique pour devenir : "Lorsqu'un club perd un licencié c'est souvent parce qu'une communauté numérique l'a séduit". Le "marché local" de la répartition des licenciés entre les clubs ayant historiquement construit le tissu sportif d'une ville s'amenuisera donc en proportion des gains des nouvelles structures sportives dématérialisées non fédérales. La concurrence entre ces deux types d'organisations atteindra alors une dimension paroxysmique qui pourra réduire le service public sportif à néant à l'horizon 2030 si l'on n'anticipe pas ce scénario noir.

 

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Fédérations affinitaires et multisports en pointe.

 

Rappelons, pour éviter toutes ambiguïtés, que nous travaillons ici dans le cadre d'un scénario ; c'est-à-dire d'une série d'hypothèses. A partir de 2020, dans tous les cas de figure que nous avons analysés, en l'absence de transition digitale de grande ampleur des structures sportives françaises, nous assisterons à de profondes transformations de la nature même des fédérations nationales contraintes, pour des raisons de survie institutionnelle, d'intégrer les nouvelles communautés sportives numériques préférées aux clubs par les élus locaux. Celles-ci auront conquis des positions tellement privilégiées qu'elles seront devenues incontournables dans l'écosystème sportif territorial. Ce qui aura comme conséquence une réaffectation en leur faveur des ressources humaines, matérielles et financières destinées au sport qui se pratique à tous les niveaux de l'échiquier politique et administratif. Ce redéploiement des ressources deviendra alors un enjeu si important qu'il forcera les fédérations olympiques à s'éloigner de leur cœur de métier, soit la compétition, pour valoriser les nouvelles motivations de la société sportive que nous avons identifiées [voir supra l'introduction, "Les tendances lourdes du sport d'ici 2025", page 3]. Dans la foulée, un effet collatéral inattendu entrera en jeu : la réévalution de la quote-part de l'allocation des ressources en faveur de certaines fédérations affinitaires et multisports. Elles seront en effet évaluées par les politiques comme des organisations correspondant mieux aux évolutions de la société française que les fédérations olympiques. Ce qui conduira certaines de ces dernières à entrer dans une phase de régression.

 

Ces éléments justifient la réaction critique [ci-dessous] qui fut la nôtre lors de l'annonce par le ministère des Sports de la décision de supprimer 10% des postes d'État placés auprès de ces fédérations affinitaires et multisports... correspondant pourtant si bien aux transformations sociétales du sport contemporain.

 

 

Le communiqué de presse des fédérations concernées par la suppression de ces emplois d'État illustre bien notre problématique de mise en concurrence progressive des fédérations nationales par le gouvernement dans le cadre de la rationalisation de ses choix budgétaires [ci-dessous].

 

 

 

La réaction déconcertante de Thierry Braillard sur Twitter (!) laisse penser qu'il n'avait identifié ni les enjeux sociétaux ni la dimension totalement bréhaigne de sa décision au regard du sport qui vient.

 

 

Il ne s'agit pas de reprocher de façon injustifiée cet arbitrage politique désastreux à Patrick KANNER et Thierry BRAILLARD. Ce serait trop simple et surtout improductif. Il s'agit de fournir à leurs successeurs un cadre d'analyse simple pour leur éviter, à l'avenir, ce type de décision tellement en contradiction avec le sport des années 2020.

 

 

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Problèmes disciplinaires de génération.

 

Le système de gouvernance politique du sport français, que des juristes ont plaisamment qualifié de "police administrative", est bien connu. On le décrit très simplement de la manière suivante.

 

Un licencié, auquel on a attribué le statut d'usager il y a 50 ans, se voit imposé par une fédération délégatrice d'un service public des modalités de pratiques prescrites en amont par l'Etat. En aval, le club dont il est membre ne possède aucune marge de manœuvre pour animer ce service doublement contraint : normalisé par l'Etat et règlementé par une fédération internationale via une fédération nationale. A un niveau intermédiaire, des structures déconcentrées ou décentralisées [ligues, comités, DRJS, préfectures] contrôlent le système en relayant administrativement des éléments constitutifs d'une chaîne de valeurs sportives élaborées politiquement dans les années soixante et formulées au plan législatif en 1975.

 

Le dispositif est fermé, rigide et imperméable à toutes formes d'innovations.

 

Sa proposition de valeur sociale repose sur un principe admis par tous : inscrit au chapitre des fonctions régaliennes de l'Etat, le sport olympique "qui se pratique" validé par le législateur dans les années soixante-dix, c'est-à-dire reconnu comme d'utilité publique il y a un demi-siècle, est un élément-clé de la société française... même s'il fut introduit dans ladite société à la fin du 19ème siècle.

 

Entendons nous bien : ceci n'est absolument pas une critique ! Si l'organisation du sport français est "imperméable à toutes formes d'innovations", c'est parce qu'en réalité il s'agit d'un dispositif purement institutionnel. En tant que tel, il a pour mission - justement ! - de résister aux changements sociaux, économiques ou technologiques. Les institutions sportives françaises sont donc parfaitement dans leur rôle et l'on ne peut certainement pas leur en tenir rigueur.

 

Le problème que nous rencontrons aujourd'hui est ailleurs. Il est très simple. Depuis les années 1980, les Français rejettent le sport d'utilité publique pour lui préférer un sport "d'utilité ludique". Nous avons développé cette problématique il y a déjà plus de vingt ans dans un livre à succès : GENERATION GLISSE [Editions AUTREMENT, 1995, 325 pages].

 

Evidemment, cela change tout !

 

Un bon indicateur du décalage existant en 2017 entre l'offre sportive de l'Etat et la demande sociale de sport est d'ordre sémantique. La décision de Thierry Braillard d'attribuer les postes aux fédérations olympiques au détriment des fédérations affinitaires et multisports peut se résumer ainsi : il a affecté ces ressources humaines à des fédérations "disciplinaires". En effet, elles gèrent des "disciplines olympiques".

 

Il convient alors de s'interroger pour se demander dans quels secteurs de la société ce terme de "discipline" est-il en usage ? La réponse est simple : en milieu scolaire, carcéral et militaire.

 

Une question secondaire s'impose donc immédiatement : en 2017, le licencié [vous, ndrl] a-t-il vraiment envie de payer une cotisation pour consommer de la discipline, fut-elle sportive ? La réponse est non. Prise en 2017, la décision de Thierry Braillard démontre donc à quel point, en matière de sport qui se pratique, l'Etat est vraiment très éloigné des préoccupations des citoyens.

 

Un dernier point en guise de conclusion provisoire. Les Français étant massivement connectés et le service public sportif résistant très logiquement aux innovations il est extrêmement vulnérable à la transition digitale. Surtout si les acteurs du numérique, en particulier les start-ups sportives qui se multiplient à toute vitesse, leur proposent des applis reposant sur des services d'utilité ludique qui excluent toutes formes de contraintes disciplinaires de leur offre commerciale pour valoriser le fun.

 

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GÉNÉRATION GLISSE, ce livre-culte profondément avant-gardiste publié en 1995 a été vendu à des milliers d'exemplaires. Il est actuellement épuisé.

 

La start-up SWI a acquis ses droits d'exploitation et recherche activement un mécène pour le rééditer.

 

Vous le trouverez d'occasion sous le label Emmaüs à des prix dérisoires à la Librairie Solidaire en cliquant sur l'image ci-dessous.

RÉSUME DU LIVRE - N'oubliez pas qu'il fut publié en 1995. Il pronostiquait les changements d'aujourd'hui comme l'explosion du marché du kitesurf. Il théorisait en outre le "sport digital" qu'il opposait au "sport analogique"... Funboard, course extrême, VTT, kitesurf, outdoor, snowboard, skate, parapente, grimpe, fitness, marche... Sports de lenteur, de plaisance, de lien social inclusif et de douleur [100 kms de Millau, ultra-marathon] contre les pratiques exclusives de compétition agressive, le "sport qui se pratique" est en plein renouvellement. Extrême, éclate, hors piste, hors normes, hors limites, fun, sport de nature et cyber-sports virtuels contre sport disciplinaire contraignant hyper règlementé, sport digital vs sport analogique, ce sont autant de motivations sportives totalement inédites qui établissent de nouveaux rapports au corps, à l'autre et à l'écosystème naturel. Loin des stades, celles et ceux qui se veulent ou se disent sportifs revendiquent le droit au dépassement de soi, à la démesure, mais aussi, plus simplement, au jeu, au plaisir, à la convivialité, à la connivence. Par ailleurs, le sport s'autorise des flirts poussés avec les avant-gardes artistiques et littéraires. Les couleurs psychédéliques, le Pop'Art, le graphisme alternatif font irruption dans la décoration des vêtements et du matériel. Amplifiant le mouvement, les stratégies marketing des grandes marques et une nouvelle presse sportive exploitent un style, un vocabulaire et des thématiques directement issus de la contre-culture américaine des années 60. En réalité, c'est à une véritable révolution culturelle à laquelle le sport nous convie. Dès lors, le monde bien trop conservateur des fédérations est mis en question. Qu'il ignore ces transformations sociétales et c'est le sport des années 2000/2010 qui lui échappera. Pour la première fois, un livre démonte et analyse la mécanique inexorable de ce phénomène. Alain Loret nous introduit au cœur d'un étonnant processus d'évolution. Il montre comment le sport est passé d'un rôle historique d'utilité publique à une fonction nouvelle d'utilité ludique.

 

http://www.swi-sportdata.com/HOME

 

De la Génération glisse à la Génération numérique.

 

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