Mai 2015.
Sport dématérialisé
• Dossier de prospective du sport.
Technologies numériques, Web social, plate-formes d'intermédiation... le sport fédéral est menacé dans sa légitimité institutionnelle. Le danger ? Que des communautés de sportifs [Runners, Surfers, Traceurs, Silvers, Glisseurs...] ubérisent les clubs traditionnels. Nous sommes à un moment-charnière. Une nouvelle phase en matière d'organisation et de gouvernance du sport est en voie de consolidation tant sociale que politique. Alors que le sport était vu comme un phénomène intangible depuis un siècle, il est entré dans une zone de turbulences. Stratégiquement, comprendre cette nouvelle donne est crucial.
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SPORT 3.0
LA CLEF DU SCÉNARIO POUR DEMAIN
L'UBERISATION 2014 >2030
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Alors que l'enseigne ******* a célébré son 46e anniversaire à travers un dispositif mis en place par l'Agence ********, le magazine ********* qu'elle édite a voulu marquer l'événement en identifiant, pour les analyser et les comprendre, les futures pistes de développement de l'industrie mondiale du sport.
Pour atteindre ce résultat, elle a interrogé le Professeur Alain Loret.
Prospectiviste spécialisé dans l'univers du sport, il fut le premier à alerter il y a deux ans le mouvement sportif français du phénomène d'ubérisation qui le menace aujourd'hui. Dans la foulée, il a fondé SWI, première start-up française d'Intelligence numérique dédiée au sport.
En mai 2013, il publiait un ouvrage de prospective sportive de référence intitulé [cliquez] "Anticiper le sport de demain" et sous-titré "De Coubertin à Al-Jazeera, la nouvelle frontière".
Depuis vingt-cinq ans, ses travaux le conduisent à traquer à travers le monde les signaux-faibles qui lui permettent aujourd'hui d'élaborer les tendances d'évolution du sport à partir du fameux programme d'investigation P.I.S.T.E.S.
Voici, en exclusivité pour ********, ses prévisions surprenantes à l'horizon des années 2030. Elles tracent des pistes inédites pour toutes les organisations [entreprises, fédérations, collectivités] qui ne veulent pas être dépassées par la grande transformation du sport qui vient.
* L'Agence ********* fait partie du Groupe *********. Elle est la 1ère agence du Groupe dans le monde.
** Elle édite le magazine ********** qui présente sa vision de la Communication d'entreprise.
____SWI____________________________________________________
L******* - Dans votre livre, vous expliquez que Le sport du XXIème siècle ne ressemblera pas à celui du XXème, tout en soulignant que le sport a déjà beaucoup évolué au cours des 50 dernières années. Peut-on distinguer de grandes phases d'évolution ?
Pr Alain LORET - J'explique en effet qu'entre 1900 et aujourd'hui, on distingue trois périodes. Deux appartiennent à l'histoire du sport et la troisième à son futur. La première prend naissance à Paris, précisément à la Sorbonne, à la fin du XIXème siècle avec la réhabilitation du concept olympique antique par Pierre de Coubertin. Elle s'arrête dans les années 1970. Correspondant aux disciplines inventées en Europe et aux Etats-Unis, je l'ai baptisée le Sport 1.0. Avec les sports de glisse qui apparaissent dans les années 1970, une seconde phase s'ouvre, celle du Sport 2.0. Elle naît dans la petite ville australienne de Torquay, au sud de Melbourne, pour se développer ensuite dans la "Zone Pacifique", notamment en Californie. L'Europe est massivement atteinte dans les années 1980. Au plan industriel, j'ai montré dans un livre intitulé "Génération glisse" (Editions Autrement, 1995) que la France devient à ce moment-là un pays leader sur de nombreux marchés issus des sports de glisse comme la planche à voile, par exemple, dès la fin des années 70. On l'a oublié mais notre pays joua un rôle moteur dans le développement de nombreuses pratiques sportives dites "alternatives" : escalade, deltaplane, surf, VTT, roller, funboard, snowboard, etc. C'est d'ailleurs en France, avec les 100 kms de Millau (1972), que naît le concept de courses "hors stade" de très longue distance, ancêtre de l'ultra-trail d'aujourd'hui.
L ** - Où placez-vous le début de la troisième période ?
A L - La dernière période, celle du sport 3.0, débute simultanément au Japon et aux Etats-Unis au milieu des années 2000 avec l'introduction de certaines technologies numériques dans la conception de nouveaux prototypes de matériels. Quelques dizaines de brevets déposés plus tard - identifiés par nos soins -, elle donne naissance à une nouvelle industrie prometteuse, celle des futurs "cybersports". Les prémices de cette industrie en devenir sont matérialisés très tôt par la Wii (Nitendo, 2006) ainsi que le Kinect (Microfoft, 2010). Depuis dix ans, via le Massachusetts Institut of Technology - le fameux MIT, est apparu le concept de "digitsport" qui introduit le Big Data dans la production des performances mais également dans le marketing sportif. Aujourd'hui, cette nouvelle économie du sport 3.0 est ouvertement la cible de certains pays comme la Corée du Sud.
Pas convainu ? Lisez ceci !
En 2014, c'est au cœur de cette nouvelle économie que naît et se développe à grande vitesse le phénomène disruptif que l'on nomme l'Uberisation du sport.
L ** - Comment s'est structurée l'industrie du Sport 2.0 et peut-on en tirer certains enseignements pour le Sport 3.0 ?
A L - Sur la période 1970-1990, une quarantaine de sports dits "de glisse" furent inventés à travers le monde. Ils vont générer une économie structurée par de nouvelles marques, comme Oxbow, Quiksilver, Rip Curl, Gotcha, mais aussi Nike. Naît alors un nouveau rapport à la performance mesurée - score, classement, record - qui est impitoyablement rejetée. On ne cherche plus à aller plus vite, plus haut et à être le plus fort pour vaincre. On exploite, par contre, de nouvelles "combinaisons vitesse-décollage" sur l'eau, la neige, le béton urbain et dans l'air pour produire des sensations vertigineuses. C'est une phase au cours de laquelle les "outils" traditionnels du sport - un javelot, une paire de skis, un vélo de piste...- sont remplacés par des "instruments" de sport, à savoir une planche à voile, un snowboard, un skate, un parapente... Les premiers produisent un résultat, les seconds du fun.
Dans les années 80, apparaît brutalement un nouveau rapport à l'ordre sportif "disciplinaire" ultra réglementé et arbitré porté par des marques historiques comme Adidas, Puma, La Hutte, Recordman, Le Coq Sportif. Ces dernières ne vont pas identifier immédiatement la rupture culturelle que produit à ce moment-là une nouvelle mode : le surfwear remplace en effet le sportwear. Le résultat ne tarde pas et certaines disparaissent - La Hutte, Recordman - alors que les autres rencontrent de grandes difficultés.
L ** - Comment expliquer de tels revirements ?
A L - En fait, c'est relativement simple. Cela se résume à des stratégies de Com' antagonistes entre les marques learders de l'époque. Sur la décennie quatre-vingt on assiste à une véritable révolution sportive industrielle qui se traduit immédiatement dans les campagnes de communication de certaines enseignes: celles qui ont bien analysé le changement sportif. Nike, par exemple, armée de son slogan "Just Do it" - lequel s'inspire ouvertement du livre intitulé "Do it : scénario de la Révolution" que le militant libertaire américain Jerry Rubin publie à la fin des années 60 - clame haut et fort que désormais il faut faire "ce que l'on veut, où l'on veut, quand on veut"... lorsque l'on fait du sport. Pour bien marquer ce positionnement (très !) surprenant, la marque exploite la personnalité rebelle d'Eric Cantonna dans une pub qui, tenez-vous bien, sera interdite au Royaume-Uni tant elle remettait en cause les valeurs du Sport 1.0. Ce concept publicitaire alternatif est repris par Reebok qui lance son propre slogan révolutionnaire "Break the rules". Autrement-dit, "casse le sport" puisque le respect des règles est au cœur de la relation sportive. Or, au même moment et à l'inverse, Adidas exploite une thématique très conservatrice: "Adidas, l'essence du sport", sous-entendu olympique et... disciplinaire. La marque est alors totalement à contre-courant de "la révolution du sport des années fun" pour reprendre le titre d'un livre que je devais publier un peu plus tard et dans lequel je démontrais que les valeurs de Mai 68 avait alors envahi la communication des marques leaders.
Pour l'anecdote, on comprend donc pourquoi Bernard Tapie put racheter Adidas si facilement. En réalité, la valeur capitalistique de la marque s'était effondrée faute d'avoir identifié la révolution culturelle du "Sport 2.0". Rapporté à ce que nous allons vivre dans les années 2020, cet exemple est à méditer par toutes les organisations sportives qui refusent aujourd'hui de croire à l'avènement du "Sport 3.0". Regardez l'ubérisation du sport, par exemple, qui sera l'une des clefs d'entrée sur les nouveaux marchés qu'il va produire. Elle est d'ores-et-déjà une menace très concrète pour les fédérations et les politiques publiques, notamment celles développées par les collectivités...
| John Lennon | Break the rules | Emka74 / Shutterstock.com | New York |
L ** - Ces phénomènes mondiaux valent-ils également pour la France ?
A L - L'histoire retiendra que notre pays, qui inventa l'économie olympique avec Coubertin, joua également un rôle éminent dans la construction de l'économie du Sport 2.0. Savez-vous, par exemple, que la marque Oxbow est né à Pont-Audemer dans le bocage normand ? Or j'ai pu montrer dans plusieurs études que le développement de l'industrie du Sport 3.0 suivra à partir des années 2020 un scénario proche du Sport 2.0 en 1980. Dès lors, la question à quelques milliards d'euros et quelques milliers d'emplois que nous devons nous poser sans tarder est la suivante: saurons-nous également être présents dans l'économie du Sport 3.0 ?
L ** - Pourquoi le sport des années 2030 va extraordinairement évoluer par rapport à celui que nous connaissons aujourd'hui ?
A L - Précisons, pour bien comprendre, que nous parlerons-là du Sport 3.0. Pour autant, il faut identifier le fait que ce dernier ne remplacera pas le Sport 2.0 qui n'a pas lui-même remplacé le Sport 1.0. En réalité, le système sportif mondial s'enrichit par diversifications successives. Les trois formes de sports cohabiteront en 2030 à partir de deux grands marchés structurants : le "sport qui se pratique" et le "sport qui se regarde". Reste que la croissance de certains segments de ces deux marchés est observée avec appréhension par les industriels du secteur. En bref, on observe que les Sports 1.0 et 2.0 qui se pratiquent ont atteint un palier dans les pays développés. Ils ne retrouveront pas les taux de croissance antérieurs sauf, peut-être, sur les marchés spécifiques et en plein essor constitués par les femmes et les seniors. Dans un souci de clartée et de précision, il nous faut également laisser de côté l'économie du "sport qui se regarde". Dès lors, en nous focalisant exclusivement sur "le sport qui se pratique", nous observons que tous les indicateurs internationaux montrent que les zones de croissance connues propres aux pratiques sportives 1.0 et 2.0 stagnent quand elles ne régressent pas. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer que les grandes enseignes spécialisées commercialisent de moins en moins "d'outils" de sport. Quant au marché des "instruments" de sport, c'est un marché d'experts maîtrisant les techniques et les technologies. Or, cette élite n'a jamais représenté un marché de masse. On comprend donc le malaise actuel car les industriels ont évidemment compris que les marques qui seront incapables d'anticiper les changements... disparaîtront.
Le crépuscule du marché du Sport 1.0 qui se pratique
L ** - Dans un contexte global d'uberisation, il y a donc urgence pour les marques à prendre conscience de l'émergence du Sport 3.0, du Digitsport et de ce que vous avez baptisé les "CyberSports".
A L - En 2015, l'industrie mondiale du sport est à la croisée des chemins comme elle le fut en 1975 quand le Sport 2.0 s'imposa face au Sport 1.0. Certaines enseignes spécialisées et des multinationales pourtant fort éloignées du secteur sportif comme l'entreprise de VTC Uber s'intéressent donc de très près au Sport 3.0 qui se pratique...ra [UberWithings] en organisant des événements sportifs inédits liés à la pratique non-licenciée. A ce stade, il est important de préciser qu'il ne s'agit pas de prédiction mais de prévision. Nous avons conçu un scénario industriel et commercial sur la base de données extraites du marché de la photographie argentique tel qu'il se présentait en 1995. En deux ans (1995-1997), le leadership de Kodak fut anéanti par de nouvelles marques (Sony, Hewlett-Packard) qui exploitèrent une rupture technologique : le numérique.
Le marché mondial de la photographie en fut bouleversé.
Le scénario que je vous livre ici pour le sport à l'échéance 2030 est quasi-identique. L'hypothèse est simple : pour que le marché du sport rebondisse, il lui faudra également exploiter une rupture technologique. Il passera donc des technologies "mécaniques" traditionnelles (vélos, skis, javelots,...) aux technologies numériques. De nouveaux matériels et des services totalement inédits [reposant sur une "'économie de partage" - autrement-dit, l'ubérisation - et développés dans des équipements d'un "autre type" qui fonctionneront sous réalité augmentée] autoriseront la pratique de nouveaux sports mi-réels, mi-artificiels. En fait, ils seront virtuels et exploiteront ce qui a fait le succès du Sport 2.0, soit la recherche de sensations vertigineuses. Il existera pourtant une différence de taille. L'exploitation des fameuses "combinaisons vitesse-décollage" des anciens sports de glisse sera alors à la portée des non-experts qui constitueront un marché de masse composé de consommateurs friands de "services ubérisés".
L ** - Reste que le coût d'accès au Sport 3.0 est aujourd'hui très élevé.
A L - Le scénario intègre le fait que les wearables, IoTSports et autres applis dématérialisées d'aujourd'hui sont très précisément dans la position du Macintosh d'Apple en 1985. A l'époque, la marque révolutionna la bureautique avec un produit très cher mais dont les performances font aujourd'hui sourire. Les consommateurs de Sport 3.0 des années 2030 regarderont nos "produits sportifs connectés" de 2018 de la même façon. Soit avec ironie, au mieux avec indulgence. D'autant que les prix auront sacrément baissé.
L ** - Comment être certain que le Sport 3.0 rencontrera son marché ?
A L - Pour s'en convaincre, il suffit d'observer que celui-ci sera constitué par les adolescents d'aujourd'hui qui passent de nombreuses heures à "jouer au sport" via le e-Sport. Pratiquer un sport virtuel de type 3.0 (cybersport) ne leur posera donc aucun problème. Mieux, ce sont certaines marques idolâtrées de leur adolescence qui leur permettront de le faire. Marcel Proust aurait peut-être baptisé cela le syndrome de la petite madeleine •••